Un livre, une lutte
Alors, tout d'abord, un nouvel avertissement: cet article ne s'adresse pas à ceux qui n'en ont rien à foutre des romans policiers, de la politique, du sous-commandant Marcos, de l'Amérique Latine en général et du Mexique en particulier. Je prie ces gens de quitter mon blog sur le champ. Voilà. Ça, c'est fait.
Bon alors, maintenant qu'on est en bonne compagnie, je vais pouvoir vous révéler l'objet de cet article.
Pour commencer, je souhaite vous faire part de mes impressions sur un bouquin dont la qualité, sur une échelle de 1 à 12,5, est excellente. Vous en avez l'image ci-contre. Il s'agit d'un roman policier (et politique) qui s'intitule Des morts qui dérangent, et le titre original en espagnol est Muertos incomodos. Il a été écrit par le grand écrivain mexicain Paco Ignacio Taibo II et le non moins grand Sous-commandant Marcos. C'est déjà une originalité car, vous l'aurez compris, ce livre a été écrit à quatre mains, comme on dit dans les milieux autorisés (ce qui est absurde car on écrit avec une seule main, en fait). Il a d'abord été publié sous forme de feuilletons dans le quotidien mexicain La Jornada, puis dans Libé. En fait, chacun des auteurs écrit un chapître successivement. Mais de quoi parle t-il, ce bouquin? Et bien, puisqu'il s'agit d'un roman policier (bien que la police tienne plutôt le mauvais rôle, ici), l'histoire tourne autour d'une enquête menée conjointement par le détective Hector Belascoaràn Shayne (le personnage créé par Taibo II) et Elias Contrarios (le personnage créé par Marcos). Tout commence par des appels laissés par un mort dénommé Alvarado sur le répondeur de son ancien ami, un certain Monteverde, fonctionnaire de la ville de Mexico. Ce dernier va trouver Belascoaràn pour lui demander de mener l'enquête. Dans le même temps, au Chiapas, Le "Sup" reçoît de la part de Manuel Vazquez Montalbàn (grand écrivain espagnol, pour ceux qui ne le sauraient pas) un dossier comprenant des informations sur un certain Morales, appartenant aux milieux d'extrême-droite et trempant dans toutes sortes de magouilles pas claires. Le "Sup" envoit alors Elias Contrarios, "commission d'enquête" (c'est le terme zapatiste pour "détective"), dans le "Monstre" (c'est-à-dire Mexico). Elias et Hector vont être amenés à se rencontrer et à unir leurs efforts. Ils vont alors mettre à jour un vaste complot mettant en cause le gouvernement mexicain, la police, l'armée, les groupes d'extrême-droite, etc... L'histoire regorge aussi de personnages insolites. On y trouve pèle-mèle : un transsexuel nommé Magdalena, un quatuor de personnages qui s'appellent Mai, Juin, Juillet et Août, une hacker de 75 ans domiciliée au Texas, une agente secrète de 11 ans armée de chewing-gums laxatifs, et j'en passe. Par ailleurs, ce livre nous livre (tiens, c'est marrant ça) quelques révélations intéressantes. On apprend par exemple que Ben Laden ne serait rien d'autre qu'un acteur mexicain qui en aurait eu marre de jouer les terroristes et se serait reconverti dans le porno. On apprend aussi l'identité du mec qui fait la voix du dinosaure mauve Barnie. Ça tue, non? Vous allez me dire que tout ça est un peu décousu de fil blanc. Ben, c'est vrai que ça part un peu dans tous les sens et que cette histoire a un côté surréaliste. Sans compter que Marcos a un style d'écriture assez peu académique. Mais je trouve que c'est justement ce qui fait son charme. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que derrière l'humour et la fantaisie, il y a la critique sociale, le propos politique. Et c'est finalement ça, le principal intérêt de cette ouvrage. Car les 2 auteurs n'épargnent rien ni personne. Tout y passe. Au final, le tableau qu'ils dressent de la société mexicaine n'est pas glorieux : corruption, assassinats, emprisonnements d'opposants politiques, escroqueries financières, luttes de pouvoir. Tout cela appelle une profonde réforme, voire même une révolution.
Bonne transition pour ma deuxième partie. En effet, je tiens à parler des prochaines élections présidentielles au Mexique et en particulier de l'initiative prise par le sous-commandant Marcos.
Le 1er janvier, à San cristobal de Las Casas, dans l'Etat du Chiapas, plus de 5000 zapatistes sont venus des bases d'appui pour accompagner la sortie du sous-commandant Marcos qui part pour 6 mois à travers tout le Mexique dans le cadre de ce qu'il a appelé "la Otra Campaña". Lors du meeting qui a suivi, plus de 10000 personnes sont venues écouter les principaux commandants de l'EZLN. L'idée de "la Otra Campaña" est simple. Il s'agit d'aller à la rencontre de tous ceux qui se sentent de gauche et luttent, hors des partis politiques et de quelque manière que ce soit, contre le capitalisme. Le but est de rassembler toutes les forces de gauche, de la "vraie" gauche. C'est lors de sa 6ème déclaration de la forêt Lacandone que le sous-commandant Marcos a lancé l'appel à une autre campagne. Pour l'occasion, Marcos s'est auto-désigné "délégué zéro" et a décidé de partir lui-même sur les routes mexicaines au volant (ou plutôt au guidon) d'une moto noire ornée du symbôle de l'EZLN. De nombreux mexicains, comptant parmi les plus déshérités, sont venus l'acclamer sur son passage. Il a commencé par sillonner la côte Pacifique. Dans les principales villes ou il est passé, des meetings étaient organisés. L'engouement populaire pour "la Otra Campaña" se fait sentir un peu partout. Il est prévu que d'autres commandants zapatistes viennent ensuite dans les endroits ou le "Sup" est passé. Ils resteront plus longtemps et auront pour mission de réunir les différents acteurs de gauche pour élaborer un programme commun. Les zapatistes contestent la légitimité des partis politiques qui présentent des candidats aux élections présidentielles qui auront lieu à l'été 2006. Selon eux, les 3 grands partis (PRI, PAN et PRD) auraient conclu un accord afin de maintenir le système actuel, quelque soit le vainqueur. C'est ce qu'on appelle "le pacte de Chapultepec". En fait, ces élections ne sont qu'une mascarade. Elles n'apporteront aucun changement pour les Mexicains. Les partis traditionnels sont complètement discrédités. En ce sens, l'autre campagne lancée par le sous-commandant Marcos me semble être une très bonne initiative. Elle peut redonner espoir au peuple mexicain qui aspire au changement. Seulement, cette initiative dérange fortement le pouvoir. Des membres de comités de soutien à "la Otra campaña" ont reçu des menaces. Par ailleurs, des militants d'extrême-droite ont foutu la merde lors de certains meetings. En fait, l'initiative de Marcos inquiête surtout le PRD, un parti qui se dit "de gauche", dont le candidat à la présidentielle n'est autre que Manuel Lopez Obrador, le maire de Mexico. Il craint de perdre les voix de son électorat traditionnel. Pourtant, a priori, Marcos ne songe pas à se présenter aux élections. Mais, on ne sait jamais. Le problème, c'est qu'au Mexique, la voie électorale semble bouchée. Le jeu est trop faussé pour qu'un candidat n'appartenant pas aux 3 grands partis soit élu. Il y a donc peu de chances pour que se produise un scenario à la bolivienne. En passant, je tiens d'ailleurs à saluer la victoire d'Evo Morales, le leader des "cocaleros". Je voulais en parler avant, mais j'ai pas eu le temps. Cette élection en Bolivie est une véritable révolution sur le continent latino-américain. Ce n'est pas tant le fait qu'il soit de gauche, mais le fait qu'il soit indigène qui constitue un changement radical. Après des siècles de domination blanche et créole, le continent latino-américain voit enfin un descendant des peuples précolombiens accéder au pouvoir. Espérons qu'il en fera bon usage. Et, alors que l'année 2006 sera marquée par de nombreuses élections sur le continent, espérons que d'autres pays suivront cette voie. Je ne désespère pas de voir toute une partie de l'Amérique Latine basculer à gauche. Sur ce, buenas tardes!